Un entretien avec le journaliste Ricardo UTIERREZ, sur le vote d'une loi interdisant le voile intégral
Christian Bataille : « J’étais partisan de l’interdiction, je ne le suis plus »ENTRETIEN
R.U: Christian Bataille, député PS du Nord, militant laïque, mais vous n’êtes plus partisan de l’interdiction du voile intégral, après l’avoir été…
J’ai été de ceux qui ont défendu la loi sur l’interdiction des signes religieux ostensibles à l’école. Mais si l’école est un lieu d’éducation où on ne peut tolérer le prosélytisme religieux, il en va autrement de l’espace public.
R.U: Vous étiez pourtant favorable à l’interdiction absolue du voile intégral.
Oui, quitte à me faire décrier par mon groupe politique, qui était plus circonspect. Mais au terme d’un travail parlementaire sérieux, fondé sur de multiples auditions, j’en suis arrivé à la conclusion qu’une mesure brutale d’interdiction ne serait pas efficace. Certains continuent à prôner la prohibition, au nom d’un féminisme rigoriste ou au nom d’une interprétation un peu raide du principe de laïcité. Mais je rappelle que la laïcité, le principe de séparation de l’Eglise et de l’Etat, n’est pas la dictature antireligieuse.
R.U: Qu’est-ce qui vous a fait changer d’avis ?
J’ai été frappé par le fait que les femmes que nous avons auditionnées étaient loin d’être sorties du fin fond de leur village algérien, avec des islamistes dominateurs comme maris… Je me suis trouvé face à des femmes d’origine maghrébine ou d’origine française, parfois de formation supérieure et qui avaient choisi le port du voile facial, parfois par provocation, parfois par rupture avec leur état antérieur, parfois par fondamentalisme salafiste. Mais aussi pour des raisons psychologiques intimes. Au fond, comme quelqu’un qui voudrait jouer carnaval 365 jours par an !
R.U: On est loin du cliché dominant de la femme voilée soumise…
Je peux vous certifier que certaines d’entre elles sont titulaires de doctorats et ont choisi leur état. Comme la plupart de mes collègues de l’Assemblée nationale, je reste convaincu que le port de la burqa est répréhensible, mais la bonne méthode pour lutter contre cette pratique archaïque n’est certainement pas la prohibition.
R.U: Pourquoi ?
Parce que vis-à-vis des populations maghrébines, cette mesure est stigmatisante et réveille leur sentiment d’être des citoyens à part.
R.U: Une loi de prohibition serait contre-productive ?
Oui ! S’il faut pister les comploteurs salafistes, c’est l’affaire de la police. Une loi qui sanctionne des citoyennes voilées qui circulent sur la voie publique ne va pas régler le problème. Cette mesure de coercition anti-islamique n’est pas sans arrière-pensée politique : les sarkozistes en font leur miel, dans l’espoir de grappiller des électeurs au Front national.
Publié le 22 avril 2010
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